Design and Art MIT PRESS ouvrage collectif
Des rapprochements entre les objets produits dans le champ de l’Art et du Design sont actuellement constatés par différents observateurs. Repérer ces objets dont le statut est trouble, c’est implicitement affirmer que d’autres objets peuvent être identifiés sans difficulté, comme relevant de l’un ou de l’autre.
Mais quelles sont donc ces procédures normales d’identification ?
En l’absence de définitions contraignantes ou contractuelles, de consensus sur la génèse et les finalités de l’art et du design, seules des représentations communes ainsi formalisées: l’artiste- crée- des objets inutiles produits manuellement-par lui-même-destinés à être esthétiques et le designer- conçoit- des objets esthétique- produits industriellement- par un tiers- destinés à être utiles sont en mesure de produire les critères de normativité nécessaires à une telle identification.
Elles constituent donc des définitions de projet tacites et on peut généralement attribuer le trouble ressenti devant un objet à la dérogation à un ou plusieurs termes de ces représentations, la dérogation limite consistant pour un designer a être reçu dans le monde de l’art et à un artiste dans celui du design.
Si l’ensemble de ces acteurs n’ont pas pour obligation de s’y conformer, comme c’est le cas pour les acteurs de la communauté scientifique qui adhèrent à un projet contractuel commun, ils sont tenus de justifier de leur dérogations , dans la mesure où ces représentations, certes non fondatrices, restent la seule base de dialogue entre les différents courants de chaque discipline.
Typologies
A l’aide des représentations communes repérées et formalisées l’artiste- crée- des objets inutiles produits manuellement-par lui-même-destinés à être esthétiques et le designer- conçoit- des objets esthétique- produits industriellement- par un tiers- destinés à être utiles on peut dresser des grilles d’analyse, permettant de mieux appréhender nos classements intuitifs d’objets dans les deux classes considérées.
Typologies
A l’aide des représentations communes repérées et formalisées l’artiste- crée- des objets inutiles produits manuellement-par lui-même-destinés à être esthétiques et le designer- conçoit- des objets esthétique- produits industriellement- par un tiers- destinés à être utiles on peut dresser des grilles d’analyse, permettant de mieux appréhender nos classements intuitifs d’objets dans les deux classes considérées.
grille d'analyse cas normaux
grille d'analyse cas non-normaux
La première met en regard deux producteurs d’objets conformes aux représentations communes, tandis que la seconde considère un designer et un groupe d’artistes oeuvrant à un rapprochement entre art et design. On constate une permutation des positionnements sur tous les items, à l’exception de ceux qui portent sur le statut institutionnel des producteurs d’objets.
Dans cette approche taxinomique il est clair que rien ne justifie, pour la seconde grille, les dénominations “designer” et “artiste” sinon la simple autorité des acteurs de ces milieux.
Il nous faut donc connaître les motivations de ces producteurs d’objet, pour savoir si les mots “design” et “art”ont une signification autre qu’institutionnelle à leurs yeux.
Commençons par Maarten Baas.
Cabinet série Smoke Mobilier brûlé/enduction époxy
MAARTEN BAAS
Maarten Baas est issu de la Design Academy Eindhoven. Il y est reçu bachelor en 2002 avec, entre autre, la série Smoke, un ensemble de meubles de style carbonisés au chalumeau.
Smoke rejoint assez rapidement la collection Moiiiii, dont l’éditeur n’est autre que Marcel Wanders et sa présence remarquée sur de grands salons de mobilier marque le début d’une notoriété internationale que ne démantiront pas ses autres séries Hey, chair, be a bookshelf!, Clay Furniture , Sclupt , Treasure Furniture...
Maarten Baas se présente lui-même comme un designer intuitif. Lorsqu’on l’interroge sur ses motivations, il répond simplement qu’il fait ce qui lui vient spontanément et n’a rien d’autre à ajouter. Ses préoccupations, autant qu’on puisse en juger au vue de réponses parfois laconiques ou évasives tournent autour de la question de la beauté et de la pièce unique nous renvoyant à priori à...la dimension auratique de l’oeuvre d’art.
Souvent, je constate que les gens sont fascinés par des formes de beauté très standardisées: des voitures au look futuriste, agressif, brillant, symétrique, imposant... Ce n'est pas ma conception de la beauté. Je m'intéresse à d'autres définitions, plus personnelles, plus fragiles.
Sa méthode de travail tranche aussi avec la capacité de projection et de délégation qui caractérise normativement l’activité de conception du designer. Il réalise lui-même certains objets sans planification précise de la production.
Pour “Hey chair, it’s a bookshelf!”, je me suis lancé le défi de faire un objet fonctionnel à partir de tout un bric-à-brac que j'avais récupéré aux puces. Je l'ai fait sans aucun égard pour la solution la plus logique: j'aurais pu couper un pied ici, scier un barreau là, et reconstruire quelque chose. Mais je n'avais pas de scie, seulement un rouleau de scotch, et j'ai assemblé les choses très spontanément, en empilant les surfaces plates, en corrigeant les déséquilibres, dès que la structure menaçait de s'écrouler.
Il ne faut cependant pas compter sur Maarten Baas pour dissiper un quelconque malentendu entre art et design dont il semble ignorer jusqu’à l’existence. Il se voit d’ailleurs comme un designer décomplexé, absolument affirmatif, imperméable à la critique et s’il est satisfait par la réception de son travail, il ne la recherche d’aucune manière.
Beaucoup de designers n'osent pas prendre de risques artistiques parce qu'ils sont paralysés par la peur de l'échec financier. Ils corrigent ce qui est trop expressif. Et on se retrouve ainsi avec un tas de choses inutiles et médiocres sur le marché.
Les raisons qui le poussent à quitter le territoire normatif du design ne se justifient donc, semble t-il, que par une nécessité intérieure, une posture, encore une fois, historiquement artistique.
On peut cependant repérer dans ses propos une certaine désillusion vis-à-vis de ce “design normal” qu’il considère superflu, voire inutile.
Je pense que tout designer qui se prétend «eco-friendly» est hypocrite. Même si une chaise est produite dans certaines normes environnementales, la chaise, en elle-même, n'est pas indispensable. Il est donc bien plus écologique de ne pas produire de chaise du tout.
Cette remarque de Maarten Baas permet de mieux distinguer en quoi son travail relève généalogiquement du design et non l’art. Il s’interroge ici ,en tant que designer, sur la mission statutaire qui lui est historiquement dévolue selon lui, à savoir produire des objets, et conclut à sa péremption.
Hanté par l’inflation d’objets qui caractérise nos sociétés d’opulence, il voit la perpétuation de son statut de designer dans le recyclage d’objets et la production d’objets auratiques.
Hey chair, be a bookshelf! mobilier usagé/enduction époxy
Hey Chair, be a bookshelf est à ce titre éclairant. Peu fonctionnel, puisque les chaises accomplissent la fonction de rangement par “destination”, cet objet réhausse, en une agrégation, des objets laissés pour compte de la société de consommation en leur conférant unicité, ostentation et signature d’auteur.
Yellow Dining Chair série Treasure Furniture Chutes de bois/ peinture
La série Treasure Furniture procède de la même stratégie de détournement, mais à partir de chutes de bois issues d’une usine de mobilier, provenant de panneaux standards usinés pour une même production, et donc rigoureusement identiques. Ainsi, la Yellow Dining chair est un produit de série issu d’un autre produit de série.
Chaise Zig-Zag de G. Rietveld série Smoke mobilier brûlé/enduction époxy
Avec la série Smoke, Maarten Baas ne consacre pas le rebus, mais s’approprie des objets patrimoniaux identifiés, par le biais d’une esthétique d’aspect unifiée...en les calcinant.Cet acte d’appropriation, grâce notamment à l’entremise du Groninger Museum qui lui a cédé puis racheté une partie de son fond dument carbonisé, s’étend jusqu’au mobilier le plus comtemporain.
S’il essaie de nous faire croire qu’il ne s’agit en rien de provoquer, mais plutôt d’un hommage à ses prédécesseurs, on notera qu’ils reçoivent tous le même traitement et qu’ils n’ont donc d’autre qualité que d’être ses prédécesseurs.
Il s’agit là d’une procédure de double-légitimation (qui rejaillit sur l’artiste cité et le citateur) commune dans le monde de l’art (qu’on retrouve par exemple dans l’appropriationnisme de Sherry Levine), à ceci près que l’iconoclasme artistique ne peut jamais menacer l’intégrité physique (Cf. affaire Pinoncelli) de l’oeuvre, puisque son aura vient précisement de cette unicité.
Pas de tels scrupules ici...ces objets ne sont pas irremplaçables au regard de la loi et de Maarten Baas.
en Haut: Armoire série Scuplt
en Bas: mobilier de la série Clay Furniture
Cette rapide revue du travail de Maarten Baas confirme que ses méthodes diffèrent en de nombreux points des méthodes communes du designer. Elle montre également qu’elles sont conformes en de tout aussi nombreux points aux méthodes communes de l’artiste.
C’est en fait une pure et simple permutation dans laquelle ne subsiste que la notion d’utilité, elle-même mise à mal, comme nous l’avions remarqué dans notre grille d’analyse.
Rien dans les propos de Maarten Baas ne nous a véritablement éclairé sur son rejet de ces méthodes communes, à part sa réserve à l’encontre de la société de consommation.
Il est clair cependant que ses propositions n’ont pas pour but de contrecarrer cet état de fait, puisqu’elles se positionnent en retrait de l’économie “normale”, au travers de la production d’objets somptuaires à destination d’élites cultivées et fortunées.
S’il reste du côté du design, indépendemment de la pertinence de son positionnement, c’est parcequ’il ne renonce jamais complètement à la fonction d’usage.
Nous sommes loin d’avoir épuisé la signification du travail de Maarten Baas, dont nous analyserons plus profondémment les motifs et ceux d’autres designers à la frontière dans une approche plus générale du phénomène design art.
A suivre Marti Guixe “ex-designer”
sources:
http://www.letemps.ch/horsseries/dossiersarticle.asp?ID=220754
http://www.usign.com/index.php/outsign/marteen-baas.html
http://www.coolhunting.com/archives/2008/04/interview_with_7.php
http://www.dezeen.com/2008/04/10/studio-baas-den-herder-in-milan/
http://www.lexpress.fr/mag/tentations/dossier/design/dossier.asp?ida=460585&p=2
http://209.85.129.104/search?q=cache:5meL3zHpVvoJ:www.blog.homology.com/deco-design/mon-cafoutche/starck/+maarten+baas&hl=fr&ct=clnk&cd=39&lr=lang_fr&client=safari
http://www.blogg.org/blog-8296-billet-_salon_du_meuble_de_paris__13_01___17_01_2005_-92771.html
http://www.maartenbaas.com/
http://en.wikipedia.org/wiki/Maarten_Baas
http://www.maartenbaas.behindthedesigns.com/