lundi 19 mai 2008

DESIGN ART?

Design and Art MIT PRESS ouvrage collectif

Des rapprochements entre les objets produits dans le champ de l’Art et du Design sont actuellement constatés par différents observateurs. Repérer ces objets dont le statut est trouble, c’est implicitement affirmer que d’autres objets peuvent être identifiés sans difficulté, comme relevant de l’un ou de l’autre.
Mais quelles sont donc ces procédures normales d’identification ? 
En l’absence de définitions contraignantes ou contractuelles, de consensus sur la génèse et les finalités de l’art et du design, seules des représentations communes ainsi formalisées: l’artiste- crée- des objets inutiles produits manuellement-par lui-même-destinés à être esthétiques et le designer- conçoit- des objets esthétique- produits industriellement- par un tiers- destinés à être utiles sont en mesure de produire les critères de normativité nécessaires à une telle identification.
Elles constituent donc des définitions de projet tacites et on peut généralement attribuer le trouble ressenti devant un objet à la dérogation à un ou plusieurs termes de ces représentations, la dérogation limite consistant pour un designer a être reçu dans le monde de l’art et à un artiste dans celui du design. 
Si l’ensemble de ces acteurs n’ont pas pour obligation de s’y conformer, comme c’est le cas pour les acteurs de la communauté scientifique qui adhèrent à un projet contractuel commun, ils sont tenus de justifier de leur dérogations , dans la mesure où ces représentations, certes non fondatrices, restent la seule base de dialogue entre les différents courants de chaque discipline.

Typologies
A l’aide des représentations communes repérées et formalisées l’artiste- crée- des objets inutiles produits manuellement-par lui-même-destinés à être esthétiques et le designer- conçoit- des objets esthétique- produits industriellement- par un tiers- destinés à être utiles on peut dresser des grilles d’analyse, permettant de mieux appréhender nos classements intuitifs d’objets dans les deux classes considérées.

grille d'analyse cas normaux


grille d'analyse cas non-normaux

La première met en regard deux producteurs d’objets conformes aux représentations communes, tandis que la seconde considère un designer et un groupe d’artistes oeuvrant à un rapprochement entre art et design. On constate une permutation des positionnements sur tous les items, à l’exception de ceux qui portent sur le statut institutionnel des producteurs d’objets.
Dans cette approche taxinomique il est clair que rien ne justifie, pour la seconde grille, les dénominations “designer” et “artiste” sinon la simple autorité des acteurs de ces milieux.

Il nous faut donc connaître les motivations de ces producteurs d’objet, pour savoir si les mots “design” et “art”ont une signification autre qu’institutionnelle à leurs yeux.

Commençons par Maarten Baas.


Cabinet     série Smoke     Mobilier brûlé/enduction époxy

MAARTEN BAAS
Maarten Baas est issu de la Design Academy Eindhoven. Il y est reçu bachelor en 2002 avec, entre autre, la série Smoke, un ensemble de meubles de style carbonisés au chalumeau.
Smoke rejoint assez rapidement la collection Moiiiii, dont l’éditeur n’est autre que Marcel Wanders et sa présence remarquée sur de grands salons de mobilier marque le début d’une notoriété internationale que ne démantiront pas ses autres séries Hey, chair, be a bookshelf!, Clay Furniture , Sclupt , Treasure Furniture...
Maarten Baas se présente lui-même comme un designer intuitif. Lorsqu’on l’interroge sur ses motivations, il répond simplement qu’il fait ce qui lui vient spontanément et n’a rien d’autre à ajouter. Ses préoccupations, autant qu’on puisse en juger au vue de réponses parfois laconiques ou évasives tournent autour de la question de la beauté et de la pièce unique nous renvoyant à priori à...la dimension auratique de l’oeuvre d’art.

Souvent, je constate que les gens sont fascinés par des formes de beauté très standardisées: des voitures au look futuriste, agressif, brillant, symétrique, imposant... Ce n'est pas ma conception de la beauté. Je m'intéresse à d'autres définitions, plus personnelles, plus fragiles.


Sa méthode de travail tranche aussi avec la capacité de projection et de délégation qui caractérise normativement l’activité de conception du designer. Il réalise lui-même certains objets sans planification précise de la production.

Pour “Hey chair, it’s a bookshelf!”, je me suis lancé le défi de faire un objet fonctionnel à partir de tout un bric-à-brac que j'avais récupéré aux puces. Je l'ai fait sans aucun égard pour la solution la plus logique: j'aurais pu couper un pied ici, scier un barreau là, et reconstruire quelque chose. Mais je n'avais pas de scie, seulement un rouleau de scotch, et j'ai assemblé les choses très spontanément, en empilant les surfaces plates, en corrigeant les déséquilibres, dès que la structure menaçait de s'écrouler.

Il ne faut cependant pas compter sur Maarten Baas pour dissiper un quelconque malentendu entre art et design dont il semble ignorer jusqu’à l’existence. Il se voit d’ailleurs comme un designer décomplexé, absolument affirmatif, imperméable à la critique et s’il est satisfait par la réception de son travail, il ne la recherche d’aucune manière.

Beaucoup de designers n'osent pas prendre de risques artistiques parce qu'ils sont paralysés par la peur de l'échec financier. Ils corrigent ce qui est trop expressif. Et on se retrouve ainsi avec un tas de choses inutiles et médiocres sur le marché.

Les raisons qui le poussent à quitter le territoire normatif du design ne se justifient donc, semble t-il, que par une nécessité intérieure, une posture, encore une fois, historiquement artistique.
On peut cependant repérer dans ses propos une certaine désillusion vis-à-vis de ce “design normal” qu’il considère superflu, voire inutile.

Je pense que tout designer qui se prétend «eco-friendly» est hypocrite. Même si une chaise est produite dans certaines normes environnementales, la chaise, en elle-même, n'est pas indispensable. Il est donc bien plus écologique de ne pas produire de chaise du tout.

Cette remarque de Maarten Baas permet de mieux distinguer en quoi son travail relève généalogiquement du design et non l’art. Il s’interroge ici ,en tant que designer, sur la mission statutaire qui lui est historiquement dévolue selon lui, à savoir produire des objets, et conclut à sa péremption.
Hanté par l’inflation d’objets qui caractérise nos sociétés d’opulence, il voit la perpétuation de son statut de designer dans le recyclage d’objets et la production d’objets auratiques.

Hey chair, be a bookshelf!   mobilier usagé/enduction époxy

Hey Chair, be a bookshelf est à ce titre éclairant. Peu fonctionnel, puisque les chaises accomplissent la fonction de rangement par “destination”, cet objet réhausse, en une agrégation, des objets laissés pour compte de la société de consommation en leur conférant unicité, ostentation et signature d’auteur.

Yellow Dining Chair  série Treasure Furniture  Chutes de bois/ peinture

La série Treasure Furniture procède de la même stratégie de détournement, mais à partir de chutes de bois issues d’une usine de mobilier, provenant de panneaux standards usinés pour une même production, et donc rigoureusement identiques. Ainsi, la Yellow Dining chair est un produit de série issu d’un autre produit de série.




Chaise Zig-Zag de G. Rietveld série Smoke mobilier brûlé/enduction époxy

Avec la série Smoke, Maarten Baas ne consacre pas le rebus, mais s’approprie des objets patrimoniaux identifiés, par le biais d’une esthétique d’aspect unifiée...en les calcinant.Cet acte d’appropriation, grâce notamment à l’entremise du Groninger Museum qui lui a cédé puis racheté une partie de son fond dument carbonisé, s’étend jusqu’au mobilier le plus comtemporain. 
S’il essaie de nous faire croire qu’il ne s’agit en rien de provoquer, mais plutôt d’un hommage à ses prédécesseurs, on notera qu’ils reçoivent tous le même traitement et qu’ils n’ont donc d’autre qualité que d’être ses prédécesseurs. 
Il s’agit là d’une procédure de double-légitimation (qui rejaillit sur l’artiste cité et le citateur) commune dans le monde de l’art (qu’on retrouve par exemple dans l’appropriationnisme de Sherry Levine), à ceci près que l’iconoclasme artistique ne peut jamais menacer l’intégrité physique (Cf. affaire Pinoncelli) de l’oeuvre, puisque son aura vient précisement de cette unicité.
Pas de tels scrupules ici...ces objets ne sont pas irremplaçables au regard de la loi et de Maarten Baas.


en Haut: Armoire série Scuplt
en Bas: mobilier de la série Clay Furniture

La Série Clay et la série Sculpt explorent quant à elles la production et la stylique de l’objet sous l’angle intuitif. Clay consiste ainsi à fabriquer des objets en utilisant des systèmes de fabrication utilisés en maquettisme et Sculpt à valider en “objets finis” des ébauches réalisées en mousse.


Cette rapide revue du travail de Maarten Baas confirme que ses méthodes diffèrent en de nombreux points des méthodes communes du designer. Elle montre également qu’elles sont conformes en de tout aussi nombreux points aux méthodes communes de l’artiste.
C’est en fait une pure et simple permutation dans laquelle ne subsiste que la notion d’utilité, elle-même mise à mal, comme nous l’avions remarqué dans notre grille d’analyse. 
Rien dans les propos de Maarten Baas ne nous a véritablement éclairé sur son rejet de ces méthodes communes, à part sa réserve à l’encontre de la société de consommation.
Il est clair cependant que ses propositions n’ont pas pour but de contrecarrer cet état de fait, puisqu’elles se positionnent en retrait de l’économie “normale”, au travers de la production d’objets somptuaires à destination d’élites cultivées et fortunées.
S’il reste du côté du design, indépendemment de la pertinence de son positionnement, c’est parcequ’il ne renonce jamais complètement à la fonction d’usage.


Nous sommes loin d’avoir épuisé la signification du travail de Maarten Baas, dont nous analyserons plus profondémment les motifs et ceux d’autres designers à la frontière dans une approche plus générale du phénomène design art.

A suivre Marti Guixe “ex-designer”


sources:
http://www.letemps.ch/horsseries/dossiersarticle.asp?ID=220754
http://www.usign.com/index.php/outsign/marteen-baas.html
http://www.coolhunting.com/archives/2008/04/interview_with_7.php
http://www.dezeen.com/2008/04/10/studio-baas-den-herder-in-milan/
http://www.lexpress.fr/mag/tentations/dossier/design/dossier.asp?ida=460585&p=2
http://209.85.129.104/search?q=cache:5meL3zHpVvoJ:www.blog.homology.com/deco-design/mon-cafoutche/starck/+maarten+baas&hl=fr&ct=clnk&cd=39&lr=lang_fr&client=safari
http://www.blogg.org/blog-8296-billet-_salon_du_meuble_de_paris__13_01___17_01_2005_-92771.html
http://www.maartenbaas.com/
http://en.wikipedia.org/wiki/Maarten_Baas
http://www.maartenbaas.behindthedesigns.com/

lundi 7 avril 2008

MATHIEU LEHANNEUR scénariste du possible

Minority Report Steven Spielberg Dreamwork 2002

Chambre d’hypnose Mathieu Lehanneur mousse polyuréthane, écran LCD, film de l’hypnotiseur François Roustand 2005

DE L'OBJET AU VIVANT
En 1989, Albert Ducrocq publiait “L’objet vivant”, un livre de vulgarisation sur la cybernétique, cette science qui fut formalisée en 1947 par le mathématicien Norbert Wiener et sera ensuite désigné comme « la science des analogies maîtrisées entre organismes et machines ». 
Soixante ans plus tard, Mathieu Lehanneur propose ses Elements, des objets domestiques intelligents, “semblables à un épiderme”, qui interfacent notre corps avec son environnement, pour lui assurer un maximum de bien-être. L’analogie dépasse ici le statut simplement symbolique et architectonique qu’elle occupe dans l’art nouveau et la fascination qu’elle exerce dans l’architecture métaboliste et cybernétique, pour embrasser simultanément toutes ces dimensions dans un nouveau type d’objets.
Cysp 1, sculpture cybernétique autonome de Nicolas Schöffer, présentée sur le toit de la Cité Radieuse à Marseilles lors d'un Ballet de Maurice Béjart (1956).

Mathieu Lehanneur, n’accomplit évidemment pas seul ce syncrétisme, s’appuyant sur l’histoire courte certes mais déjà riche, de l’intelligence artificielle, des nano-technologies et de l’ingénierie du vivant. Son travail, n’en reste pas moins un canal privilégié pour prendre connaissance de ces découvertes, de leur éventuelles applications et de ce qu’elles engagent du devenir de la condition humaine.

DESIGN HUMAIN
De son propre aveu, son travail n’a pas d’enjeu social. Il semble se donner pour seule tâche d’accompagner une nouvelle étape de l’hominisation rendue possible par la technique. Il répond par des moyens actuels, à des besoins immémoriaux.

“Il n’y a pas selon moi de notion de « progrès social » dans mon travail. Les besoins et les necessités demeurent, seuls nos moyens et les outils pour y répondre évoluent réellement. ”
Archistorm, mars/avril 2007. entretien avec Lucia Pesapane


Ces moyens et ces outils le conduisent à proposer des objets communiquants, intelligents et interactifs comme nombre d’unités de recherche et développement actuelles. Rappellons pour mémoire que depuis 2002, les micro-contrôleurs, ces puces qui rendent nos véhicules, appareils électroménagers et autres machines-outils plus "intelligents", sont devenus plus nombreux que les êtres humains et que les objets relationnels comme les bots pets (iBot, nintendog) ont déjà leur place dans nos vies.
Bel Air est un assainisseur d’air équipé d’un filtre vivant, composées de plantes repérées dans les années 80 par la NASA pour leur propriétés filtrantes. L’air vicié, chargé des gaz toxiques dégagés par les objets de l’espace domestique (solvants, formaldéhyde,trichloréthylène...), est aspirés sous la cloche de pyrex et contraint à passer par les feuilles et à ressortir assaini par les racines.

La spécificité du travail de Mathieu Lehanneur consiste à replacer ces technologies dans des rituels, au plus proche du corps humain. Déjà, dans son travail de diplôme objets thérapeuthiques, il affirmait son intérêt pour le bien-être physiologique, avant tout impératif social. En tant que designer, sa tâche n’est pas d’être vecteur de progrès social et encore moins de participer à une esthétisation du cadre de vie, mais de réduire le stress psychique et physiologique, inhérent à la condition d’être vivant. En ce sens, il propose une nouvelle définition du comfort, compris comme homéostasie, ou régulation harmonieuse des échanges entre notre corps et son environnement. 
Avec ses "Health angels", il entend supprimer la frontière entre l’intérieur et l’extérieur du corps. Mais s’agit-il d’une corporéité élargie? Pas vraiment... car ses objets ne se mêlent pas à notre chair, mais l’enveloppent à distance respectable, nous proposant une nouvelle anthropologie apaisante et hospitalière, aux antipodes du cyborg du post-humain. 
L’Homme de Mathieu Lehanneur n’est pas “maître et possesseur de la nature”, il s’y inscrit et coopère avec elle, sans la “dénaturer”, c’est à dire sans la réduire à un simple opérateur technique ou principe actif. Ainsi son purificateur d’air Bel Air, exhibe t’il son principe actif dans son intégrité physique. La plante est là, bien visible sous sa cloche.
O. 2006. Verre, aluminium, micro-organismes, agitateur magnétique, diodes blanches, sonde oxymétrique, 47 x 42 cm.
O. est un générateur d’oxygène natif. Un micro-organisme photoréactif, la spirulina Platensis, est activé par une source lumineuse reliée à un oxygènomètre, lorsque le taux d’oxygène baisse significativement.



dB, 2006. ABS, mini haut-parleurs, moteur, chargeur, 19 cm de diamètre.
dB. est un système mobile agissant sur les nuisances sonores domestiques. Capable de repérer et de s’approcher de la source de bruit, il émet ensuite un bruit blanc, somme de toutes les fréquences audibles par l’oreille humaine portées à la même intensité, qui crée un bandeau sonore protecteur.


C. 2006. Elastomère, alliage à mémoire de forme, caméra thermique, chauffage par infrarouges, 25 x 66 cm.
C. est un radiateur intelligent capable de repérer les occupants d’une pièce et de chauffer des parties localisées du corps, plutôt que l’ensemble de la pièce.



K. 2006. Aluminium, fibres optiques gainées, cellules photoélectriques, diodes blanches à haute luminosité, détecteur de présence, 30 x 28 x 28 cm.
K. est un instrument de luminothérapie de choc. Capable, à l’aide de cellules photo-électriques de relever une trop faible luminosité, il émet à son approche une lumière intense de 10000 lux qui restaure notre sécrétion de mélatonine et nous garde ainsi en éveil.





Q. 2006. Inox avec enrobage PVC, système de diffision par pompes et buses, détecteur de présence
Q. diffuse un sérum fortifiant notre système immunitaire à son approche.




DES SIGNATURES
D’une manière générale, l’aspect des objets de Mathieu Lehanneur relève d’ailleurs d’une esthétique de l’ostentation, lointainement inspirée de la théorie des signatures, issue du 16° siècle, qu’il cite explicitement en référence pour Liquid Bone (l’ un de ses objets thérapeutiques, un batônnet effervescent évoquant un os, destiné au traitement de l’ostéoporose). Il cherche ainsi à rendre ses objets immédiatement identifiables, en produisant des formes analogiques aux fonctions. cette volonté est particulièrement patente pour les objets qui mettent en jeu des fonctions invisibles, comme ses Elements.

“ Je voulais en effet « déshabiller » suffisement les dispositifs et les systèmes mis en place (émission d’oxygène, diffusion de bruit blanc, nébulisation de Quinton) pour qu’on les comprennent immédiatement.”

Cette théorie des signatures, décrite par Michel Foucault dans les Mots et les choses, s’appuie sur le concept de ressemblance pour justifier le principe de causalité (par exemple les noix sont bonnes pour le mal de tête, parcequ’un cerneau ressemble à un cerveau). Dans cette Epistémé (manière de penser, au sens foucaldien), la signature est une clé, mise à la disposition des hommes par la providence de Dieu, pour qu’ils puissent bénéficier des bienfaits de la nature. Mathieu Lehanneur exploite ce principe de signature jusque dans des travaux relativement récents. Ainsi Q, son vaporisateur de Quinton , évoque les ramifications des bronches appelées à inhaler ce sérum. Il est à noter cependant que notre Epistémé moderne ne peut tolérer qu’un usage purement allusif des signatures et en aucun cas les tenir pour vraies. L’effet placebo, escompté sur cette base dans les objets thérapeutiques ne peut donc avoir lieu, ce qui explique peut-être que Mathieu Lehanneur ai échoué à les mettre sur le marché, malgré son insistance. Il reste qu’ils permettaient de conserver intacte la signification de l’acte médical, en intégrant la posologie au conditionnement du médicament ou en rappelant analogiquement l’ endroit sur lequel le traitement agissait, ce qui n‘est pas rien.

Liquide Bone batônnet effervescent prescrit dans le cadre d’un traitement de l’ostéoporose.


LE CABINET DE CURIOSITÉS DE LEHANNEUR
A côté d’une utilisation plus ou moins raisonnée de la théorie des signatures, Mathieu Lehanneur puise également certains de ses codes discursifs ou esthétiques dans ce même 16° siècle.
D’ abord par une référence explicite à l’alchimie dans son projet eAu, une eau de source chargée d’Or alimentaire, mais aussi par la cloche qui coiffe la plante de Bel Air ou les formes de ses Éléments, évoquant à la fois des coquillages, des cuirasses, des coraux, des formes pythagoriciennes ou des volumes platoniciens rappelant les artificialia (créations humaines) et les naturalia (créations de la nature) qui trônaient dans les cabinets de curiosité. Mais cet attrait pour la “Wunderkammer” est-il plus qu’un effet de mode? 
Ses propositions à mi-chemin entre l’artefact et le naturel, comme Bel Air ou O. (le purificateur intégrant un bain de Spirulina Platensis “l’organisme vivant ayant le plus haut rendement en oxygène”), rappelent singulièrement l’esprit emprunt d’occulte et de merveilleux du 16° siècle pour qui, rien ne différenciait vraiment les naturalia et les artificialia, comme l’atteste les os scultés et les chimères fabriquées de main d’homme à partir de plusieurs animaux qu’on trouvait dans ces cabinets de curiosité. Il trouve là une esthétique capable de porter son propos sur “l’objet vivant”.

DE L'UTOPIE AU RÉEL

« Je ne me place pas dans une dimension prospective en disant que je fais de la recherche pure et que je ne veux pas produire. Je ne suis pas dans cette espèce de romantisme-là ».
Beaux Arts Magazine, Février 2006.

Mathieu Lehanneur a longtemps été un designer de l’utopie voire de la dystopie, comme en atteste ses collaborations avec François Roche et le simple fait qu’aucun de ses objets phares n’est été jusqu’ici édité et que la viabilité de ses “scenarios ” n’a pas vraiment été vérifié. La salle d’hypnose collective qu’il propose pour le projet de ville auto-générative et abstraite I’ve heard about est utopie régressive réduisant l’homme à la magie, au corps et à l’ inconscient-roi, rappelant les images les plus exhaltantes, mais aussi les plus inquiétantes du cinéma d’anticipation.
Sur la page d’accueil de son site, on peut lire “Mathieu Lehanneur since 1974”... quelquepart entre l’inscription tombale et l’estampille.
Même s’il s’imagine entrant dans l’histoire... ou sur le marché, au-delà de l’image papier glacé de brun ténébreux au regard d’acier, se profile une démarche de design résolument originale. Déjà sa méthode de travail, entièrement focalisée sur le principe de scénario et son incapacité, de son propre aveu, à maîtriser les outils de conception classiques (plans, modélisation, mise en production) étonne.
Mais son projet Bel Air, fruit de sa collaboration avec David Edwards, affirme une volonté neuve: coloniser le réel, avec une proposition viable et positive. L‘objet est déjà opérationnel et libre à la vente à l’état de prototype, en vue d’une commercialisation à grande échelle en 2009. 

sources:
http://www.mathieulehanneur.com/
http://fr.wikipedia.org/wiki/Mathieu_Lehanneur
http://www.ecoledumagasin.com/session16/spip.php?article60
http://www.cacbretigny.com/inhalt/informationLeha.html
http://www.dezeen.com/2007/11/29/bel-air-by-mathieu-lehanneur/
http://www.ensci.com/uploads/media/dizajn_news2.pdf
intramuros n°135 MARS/AVRIL 2008

vidéos:
feed://www.lelaboratoire.org/fluxlabo_fr_utf.xml















lundi 17 mars 2008

AUTOPROGETTAZIONE aux origines du do it yourself

Ce projet, conduit par Enzo Mari, exposé pour la première fois en 1974, à la Galleria Milano, sous le titre Proposta per autoprogettazione, est un véritable manifeste visant à révolutionner le monde de la distribution. 
Il proposait de donner aux particuliers un accès direct aux plans constructifs d’une série de meubles facilement réalisables par tout un chacun, à l’aide de planches standard et de matériel de bricolage usuel (marteau, scie, clous et colle). Ces plans, distibués gratuitement pendant l’exposition, furent ensuite réunis sous forme de livre.



N’importe qui pouvait, pour son usage personnel, s’approprier ces dessins et réaliser soi-même un mobilier à prix minimum. En deux jours, on pouvait ainsi meubler un appartement avec tables, chaises, bancs, armoires, bibliothèque, bureau et lits. 
La simplicité du système constructif laissait la liberté à l’usager de modifier les plans d’origine à sa convenance et Enzo Mari encourageait cette démarche en demandant aux particuliers de lui envoyer commentaires et photographies du mobilier, une fois réalisé et personnalisé.
Autoprogettazione proposait ainsi d’instaurer une nouvelle relation plus direct entre le créateur et l’acheteur et de démocratiser la création en court-circuitant les différents acteurs de l’industrie et de la distribution.
Enzo Mari désirait ainsi rendre à l’usager une certaine maîtrise sur la conception de son environnement, presque unilatéralement prise en charge par la “société de consommation”.
« J’ai pensé que si les gens étaient encouragés à construire de leur main une table, ils étaient alors à même de comprendre la pensée cachée derrière celle-ci. » 
Enzo Mari
Si Enzo Mari proposait, à travers Autoprogettazione, un design anti-industriel très influencé par le courant marxiste de l’époque, cette radicalité se trouve aujourd’hui quelque peu ternie, suite à la récupération de son travail par les maisons de vente. L’attrait des collectionneurs pour le design à permis ainsi à une de “ses” chaises d’être adjugée 4957 euros récemment. Nous sommes bien loin de l’idéal démocratique qui a motivé ce projet, maintenant définitivement relégué au patrimoine.
Enzo Mari a lui-même précipité cette muséification, en réalisant en 2007, pour la galerie Demisch Danant de New York, de nouvelles pièces de ses propres mains, d’après les plans d’origine. 
Nous aborderons, dans un prochain article, d’autres initiatives plus récentes touchant au “do it yourself”, motivées par une autre contexte médiatique, économique et écologique.



dimanche 9 mars 2008

SLOW DESIGNERS

“Le Slow Design est manifeste dans tout objet, espace ou image qui encourage le ralentissement du métabolisme humain dans les domaines économique, industriel et urbain.”
Alastair Fuad-Luke

Le Slow design ne pratique ni le recrutement, ni l’excommunication, comme cela a eu cours dans les avant-gardes du siècle dernier. 
S’appuyant sur sa plateforme slowlab, il opte plutôt pour une stratégie collaborative, fédérant des acteurs issus de différents champs (art, industrie, sciences humaines, sciences appliquées) qui participent activement à ce discours en formation, par leurs débats et leurs pratiques. 
C’est un mouvement “open source”, à l’image d’un logiciel libre, qui s’enrichit par l’apport de chaque contributeur, au travers de conférences, d’expositions, de plateformes de vente en ligne.

Cet structure horizontale du mouvement explique l’extrême diversité des approches repérées.
En voici deux qui donnent la mesure de cette diversité...





Thorunn Arnadottir, designer islandaise issue de l’académie des arts de Reykjavik, se situe dans une certaine tradition du design européen, comme pratique individuelle, en dialogue avec l’histoire de l’art et du design. Elle investit des médias très différents (produits, performances et installations) pour soutenir son propos sur l’objet.
Clock, son projet de diplôme, est emblématique d’une démarche Slow design, qui consiste à mettre en représentation l’écart entre la lenteur du métabolisme humain et la cadence hyper-rapide de la société de consommation. 
L’horloge est à ce titre un objet paradigmatique. Elle présente les deux faces de nos sociétés modernes: côté pile, symbôle de la maîtrise de l’homme sur son environnement et sur lui-même et côté face, puissant anxiogène produit par un homme artisan de sa propre aliénation. Car si elle est à l’origine de nombre de découvertes scientifiques, si elle permet d’organiser le travail humain, elle est également, par ces raisons-mêmes la source d’un stress qui frappe nos sociétés depuis l’ouvrier jusqu'au grand patron.
L’horloge, telle que nous la connaissons, a permis la mesure d’un temps secable et uniforme, mais à également produit les conditions de son appréhension immédiate. D’où vient, en effet,  que nous soyons capables d'un simple coup d’oeil de nous repérer si précisement dans le temps. En fait, l’intériosation de ce temps métrique n’a pu se faire que grâce l’extraordinaire système de représentation qu’offre la position des aiguilles, et plus récemment grâce à la représentation numérique du temps (cristaux liquide, led, ...). Les designers se sont d’ailleurs montrés incapables d’offrir une meilleure représentation du temps et se sont le plus souvent contentés de jouer avec.
L’originalité de Clock, c’est justement, non pas de faire mieux, mais de faire moins bien que l’horloge type. Elle se compose de deux parties, d’une part le mécanisme d’horlogerie mural, identique à celui l’horloge type, et d’autre part une chaine de perles entraînée par celui-ci. Toutes les 5 minutes une perle chute du plateau cranté et frappe la perle précédente. Le cycle du jour et de la nuit et matérialisé par un dégradé de perles bleues, tandis que les heures sont indiquées par des perles de couleurs rouge. La chaîne de perles peut être portée en pendentif.

Pour Thorunn Arnadottir, Clock permet de modifier la qualité et la vitesse du temps. Il est moins précis (unité: 5min), moins lisible certes, mais il rythme l’existence d’une manière plus apaisée, comme les shishi-odoshi, les fontaines des jardins japonais. Lorsqu’on porte la chaîne en pendentif, on s’approprie littéralement le temps, on prend son temps. 
Thorunn Arnadottir évoque l’Afrique et un autre appréhension du temps, faite de la relation que l’on a aux autres. Son horloge est bien “une île de lenteur dans un océan de vitesse”, car elle ne peut pas prétendre à se subsistuer unilatéralement à nos horloges, pas dans le monde tel qu’il est.  





Design that Matters (Ndlr: le design qui compte) est une ONG basée à Cambrigde, Massachusetts. C’est un réseau collaboratif de plusieurs centaines de personnes, professionnels experts de différents domaines, étudiants du MIT, qui oeuvrent pour une amélioration des conditions de vie dans les pays en voie de développement par le biais du design. Leur objectif est de toucher 1millions de personnes à l’horizon 2012, au travers de leurs différents projets.
Ce sont essentiellement des ingénieurs, qui se définissent comme des experts-conseil auprès d’ entrepreneurs sociaux. Leur engagement et leur mode d’action rappelle à bien des égards le mouvement Saint-simonien issu de l’école Polythechnique au 19ème siècle.
Leur compétence en design s’étend, de l’enquête de terrain, en passant par la mise en production des produits, jusqu’à la formation des populations.
Parmi leurs nombreux projets, le plus connu et le mieux documenté se nomme Kinkajou.



Commandité par World Education, une ONG oeuvrant au Mali, Kinkajou est un outil d’alphabétisation révolutionnaire adapté à la population rurale adulte, analphabète à 75%. Dans les conditions actuelles, les adultes souhaitant apprendre à lire par les cours du soir, sont ralentis dans leur progression par le faible éclairement des salles de cours (1 ou 2 lampes à pétrole pour 40 personnes!) et par le coût important des manuels. Le Kinkajou, du nom d’un animal nyctalope local , est un système de projection qui permet de projeter sur n’importe quelle surface un document pédagogique parmi les 10000 disponibles sur un microfilm...qui coûte seulement 12 $ . Il est fabriqué avec des éléments low cost et alimenté par énergie solaire. Il est actuellement à l’essai dans 41 villages maliens et permet ainsi un accès à la lecture à plus de 3000 personnes. 
Il s’agit là d’un design en équipe (parfois plus de 100 personnes contribuent sur un projet), immédiatemment efficient et pragmatique. Par sa volonté affichée de combler le fossé entre les pays du nord et ceux du sud, d’aider les plus démunis à disposer d’eux-même, en les arrachant aux seuls impératif de la survie, Design that Matters fait également partie de la mouvance Slow design.
Bien que très éloignés, par leur buts et leurs méthodes, Thorunn Arnadottir et Design that Matters partagent la même finalité: le bien-être de l’homme et de son environnement.

lundi 3 mars 2008

SUGI, HIDA & MARI

La région Hida Takayama, au centre du japon est célèbre pour ses grandes fôrets peuplées de sugi, une variété de cêdre japonais. A l’époque Nara, cet arbre était très utilisé dans la construction de temples, maisons, pirogues, on appréciait ses qualités hygroscopiques, sa finesse de grain et son agréable odeur. Tout un artisannat se développa autour de ces fôrets, faisant la fièreté de cette région pendant l’age d’or de l’architecture japonaise.
Après la seconde guerre mondiale, de nombreuses régions dévastées du japon furent reboisées avec le sugi, car cette espèce pousse très facilement et rapidemment. 
Malheureusement, avec l’expansion économique, l’inflation du yen et l’occidentalisation de la construction, les japonnais négligèrent leurs arbres, leur préfèrant des bois importés moins chers et plus durs. La détérioration de la gestion des fôrets, consécutive à cette désaffection, entraina un déséquilibre de l’ecosystème, la disparition de certaines essences et la proliferation d’autres comme le sugi. 
Cette négligence pose actuellement de graves problèmes écologiques comme des glissements de terrain, des avalanches, une destruction des cours d’eau et une augmentation des allergies dû au pollen de sugi...

Cependant de nombreuses sociétés d’exploitation de bois restèrent implantées dans cette région. Une des plus anciennes et célèbres, la compagnie de meuble Hida, fondée en 1920, est spécialisée dans le cintrage du bois, technique developpée par Michael Thonet. A l’origine, cette société travaille essentiellement le hêtre et non le sugi, dont le bois trop mou et rempli de noeud est impropre à la fabrication de meubles.

En décembre 2000, lorsque Sanzo Okada devient directeur de Hida, il constate avec étonnement que 90% du bois utilisé dans la fabrication est importé, alors que le réservoir de fôrets alentours est important. Il décide donc de trouver une solution pour utiliser le sugi surabondant.
Il espère ainsi participer à la sauvegarde de l’environnement tout en utilisant une matière première bon marché, car dévaluée. L’économie fait sur la matière brut permettra de garder des salaires honorables aux artisans, dont l’habileté et le savoir faire sont requise dans la transformation du bois de sugi. 
“C’est facile de comprendre maintenant que l’écologie est aussi importante pour l’homme que pour la fôret.”
enzo Mari.

Pour réussir dans cette entreprise, Sango Osaka se trouve confrontré à deux obstacles: réintegrer le noeud dans la tradition de l’industrie du bois comme plus-value esthétique et non plus comme défaut, et deuxièmement rendre le bois de sugi plus dur.

Convaincu de ce que peut apporter le noeud à l’aspect, par le caractère unique de son “dessin” naturel, il expose en 2001, une premiere série de meuble appelée voice of the forest. Cette série invite à la contemplation et à la méditation, nous rendant présente l’histoire de la vie du bois. Comme les rochers dans un jardin de pierres, les noeuds peuvent endosser une dimension cosmique et l’apporter à l’interieur de la maison. L’exposition remporte un vrai succès et démontre que les mentalités ont changées: les japonais, plus attentifs à l’environnement, sont prêts à adopter le sugi.

Conforté par ce succès, il ne lui reste plus qu’à résoudre le problème de la dureté. Il developpe alors une technique de compression en s’appuyant sur le maîtrise du cintrage de la compagnie et ouvre ainsi tout un champ de nouvelles possibilités d’exploitation du bois de sugi.
Echantillons de bois compressé
de gauche à droite: une planche originale, une planche compressée à 30% utilisable pour la fabrication de meubles, à 50% qualité similaire à celle de l’hêtre, à 70% les qualités du bois sont perdues.

Le bois peut être compressé et cintré en une infinité de formes dans la même opération. On peut aussi par l’utilisation d’un moule, former et compresser le bois, tout en réduisant les coupes et en augmentant les possibilités de design.

“les sociétés ne changeront pas aussi facilement sans l’activité économique” Sango osaka

En 2003, Sanzo Osaka décide de faire appel à Enzo Mari, designer italien de renommée internationale, afin de donner corps à cette technologie dans un ensemble de pièces de mobilier. Leur collaboration débuta à la suite d’une série de lecture faite par Enzo Mari à Takayama et organisé par l’institut Oribe impliqué dans la redynamisation économique de la région. Mr Osaka fut tout de suite séduit par la personalité de Mari, practicien et théoricen du design, sensible et fin connaisseur de l’art et de l’architecture traditionnelle japonaise.

Pour Enzo Mari, cette collaboration correspond à un positionnement éthique qu’il s’est toujours imposé, à savoir priviligier la qualité et la reflexion du projet de design plutôt que des logiques de simple marketing. 
“La forme ne peut pas être le seul facteur qui donne l’élégance à un produit industriel”.
Enzo Mari
Même si le champ d’action du designer est assez limité , il peut malgré tout faire des choix de portée économique et écologique.



SLOW DESIGN

Le Slow design est une nouvelle approche du design repérée et théorisée par un universitaire anglais, Alastair Fuad-Luke,en 2004. Il fédère sous cette appellation, toutes les pratiques issues des différents champs de la création, rompant avec la logique du consumérisme et mettant au centre de leur préoccupations, l’équilibre de l’Homme et de son environnement. Face à l’urgence climatique et à la déliquescence de nos sociétés de masse, il propose rien moins qu’un virage civilisationnel et les moyens d’y parvenir. Il dépasse ainsi les vues technicistes et limitatives de l’éco-design, pour atteindre une dimension anthropologique. La cohérence de son appareil théorique en fait probablement l’aventure collective la plus ambitieuse dans le champ du design en ce début de siècle. Le Slow design entend en effet, à travers son manifeste, prendre en charge simultanément tous les volets de l’existence humaine et se place donc, aussi bien par la forme que par le contenu, dans une certaine filiation avec les avant-gardes artistiques du 20°siècle. 
Andrea Branzi, dans Une écologie de l’univers artificiel, avait pourtant diagnostiqué leur mort. Si elles ont joué, entre la deuxième et la troisième révolution industrielle, le rôle de “chambre de récupération”, permettant à la culture d’assimiler les innovations technologiques, elle n’ont plus de nécessité dans la société numérique parceque, nous dit-il, l’informatique s’adapte à l’homme, non l’inverse,et ne recquiert donc pas de nouvelle anthropologie.
Branzi se serait-il trompé? En fait, le Slow design, parfait envers du Futurisme de Marinetti qui célébrait la modernité par une esthétique de la vitesse, n’est pas tant une avant-garde, qu’une arrière-garde. Cela n’implique pas qu’il soit réactionnaire, mais simplement qu’il fonde son anthropologie sur une observation des formes de vie traditionnelles, antérieures ou étrangères à la société de consommation, car elles sont les dépositaires de marqueurs anthropologiques nécessaires (ex: les rituels), que les sociétés contemporaines auraient perdus.
Ce n’est pas du 20ème siècle, marqué par le modernisme, que le Slow design tire d’ailleurs sa source, mais plus probablement du 19ème siècle, frappé par les deux premières révolutions industrielles. Sa critique de la production de masse, son combat pour l’environnement et sa valorisation de l’artisanat, ne sont en effet pas sans rappeler le socialisme de William Morris, aujourd’hui reconnu comme l’un des pères des arts appliqués.
Le Slow Design, comme son nom l’indique, entend s’opposer à la vitesse qui marque nos sociétés hautement industrialisées. Notre environnement artificialisé à l’extrême, inscrit dans des cycles de renouvellement de plus en court, perturberait nos métabolismes, réglés sur le rythme de la nature. Ce déphasage entre le biologique et le technologique, se doublerait d’une inattention au futur et au passé,divertis que nous sommes par un présent accéléré. D’où la nécessité de ralentir l’humain, l’usage des ressources et l’économie.
Le bilan que fait Alastair Fuad-Luke sur l’état du monde n’est pas nouveau. Il a déjà été théorisé dans d’autres champs et des propositions de remédiation telles que le développement durable (rapport Brundtland) et la décroissance (Nicholas Georgescu-Roegen) ne lui doivent rien. Qu’apporte alors le Slow design? 
Son principal mérite est d’adresser ce discours aux designers, qui ont été pendant si longtemps les alliés naturels de l’industrie et de la société de confort (Cf: la laideur se vend mal Raymond Loewy). Alastair Fuad-Luke pointe le rôle prééminent que joue encore aujourd’hui la vue dans le design (forme, couleur, style) et rappelle qu’il se traduit le plus souvent par une stratégie d’obsolescence esthétique programmée...appelée mode. 
Au contraire, le Slow design s’inscrit dans la perspective du long terme et privilégie la durabilité, la qualité, la satisfaction d’un besoin réel, l’attitude contemplative.
Si le design actuel participe donc à l’emballement de la machine capitaliste et lui sert de faire-valoir, au mieux de caution, il est de plus à l’écart des structures de décisions, et n’a de ce fait, qu’une faible marge de manoeuvre. . Le mouvement moderne et même post-moderne n’on rien fait, selon lui, pour s’opposer aux méfaits du capitalisme et ont été très facilement assimilés par l’industrie de masse, parfois de leur propre volonté, comme Alessi, aujourd’hui dédiée à l’industrie du gadget. 
Le constat est clair: le designer, s’il veut être en capacité de réformer le monde, doit s’extraire de ce que Peter Hall nomme “l’infrastructure”, c.a.d de la société de consommation. Le recours à l’artisanat, à la poly-sensorialité des objets produits, au travail avec les communautés au niveau local en circuit fermé, à l’auto-production, sont autant de moyens de substitution à la structuration actuelle du travail autour du capitalisme mondialisé. Le design doit au moins s’autoriser à imaginer un avenir des objets au-delà du système économique, technologique et politique actuel pour sortir de la crise de sens qu’il traverse (depuis la fin du mouvement du mouvement moderne!). Il doit même l‘imaginer au-delà de sa propre perpétuation, car chacun doit pouvoir de lui-même donner forme à ses désirs et à ses besoins et pas nécessairement pas la médiation d’un objet. Dans un article de slow lab, Peter Hall décrit la mass-customisation, développée par les designers, comme l‘ultime avatar d’une société de consommation , cherchant à nous donner l‘illusion qu’elle comble nos désirs d‘individuation.
Alastair Fuad-Luke force le designer à sortir de son rôle d’ expert artiste-technicien et l’ amène à occuper une position politique décisive. Il cite d’ailleurs Thomas Hauffe,historien, pour qui l’histoire du design est la concrétisation de toutes les formes de vies humaines et domine donc tous les autres aspects du developpement civilisationnel qu’ils soient techniques, économiques, esthétiques, sociologiques, psychologiques ou écologiques

Si Marx dit que la marchandise est la réification des rapports sociaux, Alastair Fuad-Luke soutient lui, que les rapports sociaux peuvent être modifiés par le design. On le voit, la responsabilité que fait peser le Slow design sur le designer est écrasante.

Le Slow design n’est pourtant pas une utopie. Il ne propose pas un futur alternatif, mais un contrepoids nécessaire à la vitesse qui caractérise nos sociétés. La lenteur n’ayant de sens que par rapport à la vitesse et vice-versa, la “slow life” ne saurait se substituer complètement au rythme du progrès. Le Slow Design demande simplement à coexister apparemment, avec les formes de vies actuelles, car nous avons besoin “d’îles de lenteur dans un océan de vitesse” selon les mots de Ezio Manzini.


sources:
http://www.slowlab.net/
http://www.slowdesign.org/
http://blog.bientotdemain.com/index.php/2006/11/14/57-le-slow-design
http://theslowhome.com/blog/index/

dimanche 24 février 2008

THE CRATEOVERSY


L’impact polémique de l’exposition supernormal ne saurait être estimé à sa juste valeur, sans prendre le temps de parler de la série The Crate, présentée pendant cette même manifestation, sur le off, pour Established & Sons. 
Cette maison anglaise, malgré son nom, n’est pas une entreprise familiale remontant à l'époque victorienne, mais un tout jeune éditeur, bien décidé à occuper le marché aujourd’hui florissant du design de collection. Ils comptent dans leur catalogue des pièces inabordables de Zaha Hadid en édition limitée et d’autres produits très hauts de gamme, dessinés par les designers en vue. Mais malgré toutes ces pièces, dont certaines très voyantes, comme le banc Drift de Amanda Levente, c’est par des boites en sapin de différentes tailles, assemblées en queues droites, qu’est venu le scandale. 
La série The Crate est une déclinaison de la "table/rangement" The Crate ,déjà signée chez Established & Sons l’année précédente, qui de l’aveu même de Jasper Morrison n’est qu’une réplique anoblie de la caisse à vin qui supporte sa lampe de chevet et son réveil. En faisant uniquement varier les proportions, Morrison étend The Crate à une gamme couvrant toutes les fonctions d’un mobilier de chambre, certes austère mais complet.


Il n’en fallut pas plus, dès avril 2006, pour que certains observateurs du design dénoncent là une arnaque un peu éventée, reprise fumeuse du ready-made de Duchamp. D’autres, admirateurs du “premier” Morrison, restent interrogatifs devant ce virage qui conduirait Morrison vers le design critique et ironique. 
On peut se demander en effet, ce qu’il peut y avoir de commun entre cette caisse et la Air-Chair. Stylistiquement rien manifestement. Cependant si on les resitue tous deux dans le contexte des écrits de Morrison, on trouve une continuité de positionnement, précisement à travers le concept de super normal
Si pour la Air-Chair, le qualificatif ne fait pas de doute (elle fait d’ailleurs partie de la sélection des 200 objets), il paraît plus difficile de le reconnaître à The Crate, pas seulement parce-que Morrison n’a fait aucun effort pour dessiner et moderniser cette caisse à vin , comme certains l’ont dit, mais parce-que l’original lui-même, dans son usage domestique ne remplit pas sa fonction d'origine et n'est donc pas normal, au sens usuel.
La question d’un éventuel virage se poserait donc plutôt en ces termes: peut-on ici parler d’un objet façonné par l’histoire longue et parfaitement adapté à son contexte, alors même qu’il est utilisé à contre-emploi?
C’est que Morrison se place peut-être dans une histoire plus longue encore, prototypique, précédant les différenciations typologiques, une histoire d’avant la table basse, d’avant la chaise, d’avant le meuble de rangement. The Crate, à la manière de la caisse multifonctions du Cabanon de Cap-Martin de Le Corbusier, peut-revêtir différentes fonctions selon l’orientation qu’elle reçoit. Que cette préhistoire de l’objet ait existé ou non importe peu, le fait est que cet objet fonctionne et que Morrison en a éprouvé la valeur d’usage sur le long terme.


Mais il serait plus raisonnable de penser qu’il se place du côté d'une autre histoire, celle du détournement, et qu’il ne fait que prendre acte d’une pratique, qui s’est fortement démocratisée, normalisée. The Crate vient appuyer l’idée que nombre d’usages de la domesticité ne requièrent pas de nouvelles formes, mais simplement la validation de formes déjà usitées. La requalification de la caisse à vin en module mobilier va dans ce sens. 
Ce "quasi-ready-made" fait cependant question,car bien que la caisse à vin se soit intégrée à la vie domestique, sa forme doit être susceptible d’améliorations et si elle ne peut en recevoir aucune pourquoi s’être donné le mal de la répliquer? On peut toujours arguer que ces caisses sont souvent de tailles variables et que Morrison a trouvé là la caisse qui offre le meilleur compromis de proportions dans la perspective du maximum de fonctions. 


Mais il faut sans doute reconnaître qu’il a, par ce geste, mis un pied dans le design de commentaire. Ce refus du dessin est évidemment une critique de la forme pour la forme, du nouveau pour le nouveau. 
La serie The Crate elle-même, qui s’éloigne pourtant de la logique du ready-made, en variant les proportions, les couleurs, les ouvertures n’atteint pas la force d’une proposition.L’aspect rustique, voire monacal, de cette série, son inactualité presque anhistorique, ne peut jouer qu’ ironiquement dans un panorama médiatique du design que Jasper Morrison juge trop souvent excentrique et superfétatoire. Peut-être a t-il voulu, avec The Crate, combattre le glaive avec le glaive et aurait-il été entendu s’il s’y était pris autrement?


Le dernier épisode de la Cratoversy, souffre moins d’ambiguité. Pourquoi Jasper Morrison a t-il accepté qu’une reproduction en marbre de The Crate, juchée sur un socle, figure dans la très controversée exposition Elevating design de Established & Sons, cette exposition qui se tenait pendant le London Design Festival 2007 et prétendait poser frontalement la question du Design-Art. 
Quand on sait que l’on doit ce terme à la maison de vente Phillipe de Pury, et qu’il avait pour vocation de rassurer les collectionneurs d’art contemporain et de valoriser la cote des pièces design en y adjoignant le suffixe art, on ne peut que s’interroger sur le bien-fondé de sa participation. Alasdhair Willis, un des protagoniste de Established & Sons, ne cache d’ailleurs par sa volonté d’introduire les pratiques du monde de l’Art dans le design. Pour le meilleur ou pour le pire?


L'exposition Super Normal, à la galerie Axis, à Tokyo, jusqu'au 2 juillet, est programmée à Londres pour septembre.

sources:

Inspired design? Or just a crate? Alice Rawsthorn Herald Tribune 12 septembre 2006
The uses and misuses of Design Art Alice Rawsthorn Herald Tribune 7 octobre 2007
The chair Gang Louette Harding The Times 15 septembre 2007
www.freegorifero.com/weblog/ 2006_04_01_weblog_archive.html - 46k -
www.establishedandsons.com/
http://davidreport.com/blog/200703/crate-series-by-jasper-morrison/