Le Slow design est une nouvelle approche du design repérée et théorisée par un universitaire anglais, Alastair Fuad-Luke,en 2004. Il fédère sous cette appellation, toutes les pratiques issues des différents champs de la création, rompant avec la logique du consumérisme et mettant au centre de leur préoccupations, l’équilibre de l’Homme et de son environnement. Face à l’urgence climatique et à la déliquescence de nos sociétés de masse, il propose rien moins qu’un virage civilisationnel et les moyens d’y parvenir. Il dépasse ainsi les vues technicistes et limitatives de l’éco-design, pour atteindre une dimension anthropologique. La cohérence de son appareil théorique en fait probablement l’aventure collective la plus ambitieuse dans le champ du design en ce début de siècle. Le Slow design entend en effet, à travers son manifeste, prendre en charge simultanément tous les volets de l’existence humaine et se place donc, aussi bien par la forme que par le contenu, dans une certaine filiation avec les avant-gardes artistiques du 20°siècle.
Andrea Branzi, dans Une écologie de l’univers artificiel, avait pourtant diagnostiqué leur mort. Si elles ont joué, entre la deuxième et la troisième révolution industrielle, le rôle de “chambre de récupération”, permettant à la culture d’assimiler les innovations technologiques, elle n’ont plus de nécessité dans la société numérique parceque, nous dit-il, l’informatique s’adapte à l’homme, non l’inverse,et ne recquiert donc pas de nouvelle anthropologie.
Branzi se serait-il trompé? En fait, le Slow design, parfait envers du Futurisme de Marinetti qui célébrait la modernité par une esthétique de la vitesse, n’est pas tant une avant-garde, qu’une arrière-garde. Cela n’implique pas qu’il soit réactionnaire, mais simplement qu’il fonde son anthropologie sur une observation des formes de vie traditionnelles, antérieures ou étrangères à la société de consommation, car elles sont les dépositaires de marqueurs anthropologiques nécessaires (ex: les rituels), que les sociétés contemporaines auraient perdus.
Ce n’est pas du 20ème siècle, marqué par le modernisme, que le Slow design tire d’ailleurs sa source, mais plus probablement du 19ème siècle, frappé par les deux premières révolutions industrielles. Sa critique de la production de masse, son combat pour l’environnement et sa valorisation de l’artisanat, ne sont en effet pas sans rappeler le socialisme de William Morris, aujourd’hui reconnu comme l’un des pères des arts appliqués.
Le Slow Design, comme son nom l’indique, entend s’opposer à la vitesse qui marque nos sociétés hautement industrialisées. Notre environnement artificialisé à l’extrême, inscrit dans des cycles de renouvellement de plus en court, perturberait nos métabolismes, réglés sur le rythme de la nature. Ce déphasage entre le biologique et le technologique, se doublerait d’une inattention au futur et au passé,divertis que nous sommes par un présent accéléré. D’où la nécessité de ralentir l’humain, l’usage des ressources et l’économie.
Le bilan que fait Alastair Fuad-Luke sur l’état du monde n’est pas nouveau. Il a déjà été théorisé dans d’autres champs et des propositions de remédiation telles que le développement durable (rapport Brundtland) et la décroissance (Nicholas Georgescu-Roegen) ne lui doivent rien. Qu’apporte alors le Slow design?
Son principal mérite est d’adresser ce discours aux designers, qui ont été pendant si longtemps les alliés naturels de l’industrie et de la société de confort (Cf: la laideur se vend mal Raymond Loewy). Alastair Fuad-Luke pointe le rôle prééminent que joue encore aujourd’hui la vue dans le design (forme, couleur, style) et rappelle qu’il se traduit le plus souvent par une stratégie d’obsolescence esthétique programmée...appelée mode.
Au contraire, le Slow design s’inscrit dans la perspective du long terme et privilégie la durabilité, la qualité, la satisfaction d’un besoin réel, l’attitude contemplative.
Si le design actuel participe donc à l’emballement de la machine capitaliste et lui sert de faire-valoir, au mieux de caution, il est de plus à l’écart des structures de décisions, et n’a de ce fait, qu’une faible marge de manoeuvre. . Le mouvement moderne et même post-moderne n’on rien fait, selon lui, pour s’opposer aux méfaits du capitalisme et ont été très facilement assimilés par l’industrie de masse, parfois de leur propre volonté, comme Alessi, aujourd’hui dédiée à l’industrie du gadget.
Le constat est clair: le designer, s’il veut être en capacité de réformer le monde, doit s’extraire de ce que Peter Hall nomme “l’infrastructure”, c.a.d de la société de consommation. Le recours à l’artisanat, à la poly-sensorialité des objets produits, au travail avec les communautés au niveau local en circuit fermé, à l’auto-production, sont autant de moyens de substitution à la structuration actuelle du travail autour du capitalisme mondialisé. Le design doit au moins s’autoriser à imaginer un avenir des objets au-delà du système économique, technologique et politique actuel pour sortir de la crise de sens qu’il traverse (depuis la fin du mouvement du mouvement moderne!). Il doit même l‘imaginer au-delà de sa propre perpétuation, car chacun doit pouvoir de lui-même donner forme à ses désirs et à ses besoins et pas nécessairement pas la médiation d’un objet. Dans un article de slow lab, Peter Hall décrit la mass-customisation, développée par les designers, comme l‘ultime avatar d’une société de consommation , cherchant à nous donner l‘illusion qu’elle comble nos désirs d‘individuation.
Alastair Fuad-Luke force le designer à sortir de son rôle d’ expert artiste-technicien et l’ amène à occuper une position politique décisive. Il cite d’ailleurs Thomas Hauffe,historien, pour qui l’histoire du design est la concrétisation de toutes les formes de vies humaines et domine donc tous les autres aspects du developpement civilisationnel qu’ils soient techniques, économiques, esthétiques, sociologiques, psychologiques ou écologiques
Si Marx dit que la marchandise est la réification des rapports sociaux, Alastair Fuad-Luke soutient lui, que les rapports sociaux peuvent être modifiés par le design. On le voit, la responsabilité que fait peser le Slow design sur le designer est écrasante.
Le Slow design n’est pourtant pas une utopie. Il ne propose pas un futur alternatif, mais un contrepoids nécessaire à la vitesse qui caractérise nos sociétés. La lenteur n’ayant de sens que par rapport à la vitesse et vice-versa, la “slow life” ne saurait se substituer complètement au rythme du progrès. Le Slow Design demande simplement à coexister apparemment, avec les formes de vies actuelles, car nous avons besoin “d’îles de lenteur dans un océan de vitesse” selon les mots de Ezio Manzini.
sources:
http://www.slowlab.net/
http://www.slowdesign.org/
http://blog.bientotdemain.com/index.php/2006/11/14/57-le-slow-design
http://theslowhome.com/blog/index/