lundi 3 mars 2008

SLOW DESIGN

Le Slow design est une nouvelle approche du design repérée et théorisée par un universitaire anglais, Alastair Fuad-Luke,en 2004. Il fédère sous cette appellation, toutes les pratiques issues des différents champs de la création, rompant avec la logique du consumérisme et mettant au centre de leur préoccupations, l’équilibre de l’Homme et de son environnement. Face à l’urgence climatique et à la déliquescence de nos sociétés de masse, il propose rien moins qu’un virage civilisationnel et les moyens d’y parvenir. Il dépasse ainsi les vues technicistes et limitatives de l’éco-design, pour atteindre une dimension anthropologique. La cohérence de son appareil théorique en fait probablement l’aventure collective la plus ambitieuse dans le champ du design en ce début de siècle. Le Slow design entend en effet, à travers son manifeste, prendre en charge simultanément tous les volets de l’existence humaine et se place donc, aussi bien par la forme que par le contenu, dans une certaine filiation avec les avant-gardes artistiques du 20°siècle. 
Andrea Branzi, dans Une écologie de l’univers artificiel, avait pourtant diagnostiqué leur mort. Si elles ont joué, entre la deuxième et la troisième révolution industrielle, le rôle de “chambre de récupération”, permettant à la culture d’assimiler les innovations technologiques, elle n’ont plus de nécessité dans la société numérique parceque, nous dit-il, l’informatique s’adapte à l’homme, non l’inverse,et ne recquiert donc pas de nouvelle anthropologie.
Branzi se serait-il trompé? En fait, le Slow design, parfait envers du Futurisme de Marinetti qui célébrait la modernité par une esthétique de la vitesse, n’est pas tant une avant-garde, qu’une arrière-garde. Cela n’implique pas qu’il soit réactionnaire, mais simplement qu’il fonde son anthropologie sur une observation des formes de vie traditionnelles, antérieures ou étrangères à la société de consommation, car elles sont les dépositaires de marqueurs anthropologiques nécessaires (ex: les rituels), que les sociétés contemporaines auraient perdus.
Ce n’est pas du 20ème siècle, marqué par le modernisme, que le Slow design tire d’ailleurs sa source, mais plus probablement du 19ème siècle, frappé par les deux premières révolutions industrielles. Sa critique de la production de masse, son combat pour l’environnement et sa valorisation de l’artisanat, ne sont en effet pas sans rappeler le socialisme de William Morris, aujourd’hui reconnu comme l’un des pères des arts appliqués.
Le Slow Design, comme son nom l’indique, entend s’opposer à la vitesse qui marque nos sociétés hautement industrialisées. Notre environnement artificialisé à l’extrême, inscrit dans des cycles de renouvellement de plus en court, perturberait nos métabolismes, réglés sur le rythme de la nature. Ce déphasage entre le biologique et le technologique, se doublerait d’une inattention au futur et au passé,divertis que nous sommes par un présent accéléré. D’où la nécessité de ralentir l’humain, l’usage des ressources et l’économie.
Le bilan que fait Alastair Fuad-Luke sur l’état du monde n’est pas nouveau. Il a déjà été théorisé dans d’autres champs et des propositions de remédiation telles que le développement durable (rapport Brundtland) et la décroissance (Nicholas Georgescu-Roegen) ne lui doivent rien. Qu’apporte alors le Slow design? 
Son principal mérite est d’adresser ce discours aux designers, qui ont été pendant si longtemps les alliés naturels de l’industrie et de la société de confort (Cf: la laideur se vend mal Raymond Loewy). Alastair Fuad-Luke pointe le rôle prééminent que joue encore aujourd’hui la vue dans le design (forme, couleur, style) et rappelle qu’il se traduit le plus souvent par une stratégie d’obsolescence esthétique programmée...appelée mode. 
Au contraire, le Slow design s’inscrit dans la perspective du long terme et privilégie la durabilité, la qualité, la satisfaction d’un besoin réel, l’attitude contemplative.
Si le design actuel participe donc à l’emballement de la machine capitaliste et lui sert de faire-valoir, au mieux de caution, il est de plus à l’écart des structures de décisions, et n’a de ce fait, qu’une faible marge de manoeuvre. . Le mouvement moderne et même post-moderne n’on rien fait, selon lui, pour s’opposer aux méfaits du capitalisme et ont été très facilement assimilés par l’industrie de masse, parfois de leur propre volonté, comme Alessi, aujourd’hui dédiée à l’industrie du gadget. 
Le constat est clair: le designer, s’il veut être en capacité de réformer le monde, doit s’extraire de ce que Peter Hall nomme “l’infrastructure”, c.a.d de la société de consommation. Le recours à l’artisanat, à la poly-sensorialité des objets produits, au travail avec les communautés au niveau local en circuit fermé, à l’auto-production, sont autant de moyens de substitution à la structuration actuelle du travail autour du capitalisme mondialisé. Le design doit au moins s’autoriser à imaginer un avenir des objets au-delà du système économique, technologique et politique actuel pour sortir de la crise de sens qu’il traverse (depuis la fin du mouvement du mouvement moderne!). Il doit même l‘imaginer au-delà de sa propre perpétuation, car chacun doit pouvoir de lui-même donner forme à ses désirs et à ses besoins et pas nécessairement pas la médiation d’un objet. Dans un article de slow lab, Peter Hall décrit la mass-customisation, développée par les designers, comme l‘ultime avatar d’une société de consommation , cherchant à nous donner l‘illusion qu’elle comble nos désirs d‘individuation.
Alastair Fuad-Luke force le designer à sortir de son rôle d’ expert artiste-technicien et l’ amène à occuper une position politique décisive. Il cite d’ailleurs Thomas Hauffe,historien, pour qui l’histoire du design est la concrétisation de toutes les formes de vies humaines et domine donc tous les autres aspects du developpement civilisationnel qu’ils soient techniques, économiques, esthétiques, sociologiques, psychologiques ou écologiques

Si Marx dit que la marchandise est la réification des rapports sociaux, Alastair Fuad-Luke soutient lui, que les rapports sociaux peuvent être modifiés par le design. On le voit, la responsabilité que fait peser le Slow design sur le designer est écrasante.

Le Slow design n’est pourtant pas une utopie. Il ne propose pas un futur alternatif, mais un contrepoids nécessaire à la vitesse qui caractérise nos sociétés. La lenteur n’ayant de sens que par rapport à la vitesse et vice-versa, la “slow life” ne saurait se substituer complètement au rythme du progrès. Le Slow Design demande simplement à coexister apparemment, avec les formes de vies actuelles, car nous avons besoin “d’îles de lenteur dans un océan de vitesse” selon les mots de Ezio Manzini.


sources:
http://www.slowlab.net/
http://www.slowdesign.org/
http://blog.bientotdemain.com/index.php/2006/11/14/57-le-slow-design
http://theslowhome.com/blog/index/

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Dans votre article intitulé « slow design », vous présentez un courant de pensée qui m’intéresse beaucoup par son approche global du design comme partie intégrante de la société.
Si je souscris à votre constat concernant l’impasse d’une certaine production actuelle à « l’obsolescence programmée », je reste néanmoins réservé sur les pistes de résistance que vous présentez.
S’extraire de l’infrastructure de notre société de consommation (ne serait-ce que sur une « île de lenteur ») est sans doute un horizon de travail indispensable. Mais je ne partage pas votre rejet de la « société de confort » que vous sembler stigmatiser.
Evidemment les objets produits par cette société désignent tout autre chose qu’un design source de bien-être. Pas forcément confortables au sens plein du terme, ils sont surtout là pour conforter et peut-être même consoler des modes de vies entrainés dans la spirale consumeriste.
La recherche du confortable me semble au contraire un critère particulièrement délaissé du design, essentiellement visuel et éphémère, que vous dénoncez à juste titre. Par ce qu’il est l’incarnation d’une approche poli-sensorielle, centrée sur l’humain et son métabolisme au sens large, la recherche du confort n’est pas à ranger à mes yeux au rang des caprices du marketing mais peut-être une définition possible de ce que vous décrivez sous l’appellation « slow design » ?

Studio Lo a dit…

Nous vous remercions de vos commentaires.
Pour ce qui regarde les contenus proposés, et par exemple l'article "slow design", nous n'avons pas vocation à affirmer un point de vue trop partisan sur le design et sur la société. Notre but est de donner des clés d'analyse et une visibilité à des approches du design, qui n'ont actuellement presque aucune couverture médiatique en France, sont inconnues du grand public et au mieux mal connues des étudiants et des professionnels du design.
Que nous écrivions des articles sur ces courants, ne signifie donc pas que nous en sommes solidaires , mais simplement qu'ils sont assez étrangers au discours ambiant dans la galaxie "design" pour être rapportés ici.
Par "société de confort" nous désignons "l'idéal jamais comblé de la satisfaction des besoins" et il est clair,aux yeux d'Alastair-Fuad-Luke, le théoricien du mouvement, que cette logique de l'opulence sert le capitalisme avant de servir les individus, comme vous le remarquez vous-même.
Cela dit, "société de l'opulence" aurait peut-être été plus adéquat.
Le "confort" quant à lui est autre chose. Si il est la simple satisfaction d'une fonction légitime (s'asseoir), il ne saurait être récusé. Si il y ajoute quelque-chose, il faut peut-être en évaluer le coût sociétal (19° degrés suffisent dans une maison, mais 23° c'est confortable, jeter tout dans la même poubelle c'est confortable, etc...).
On le voit, le problème du confort (est-ce un plus/est-ce un trop?), c'est qu'il est centré sur l'intérêt de l'individu, plutôt que sur l'intérêt commun.
C'est pourquoi Alastair Fuad-Luke parle plutôt de "bien-être de l'humain et de l'environnement", ce qui peut effectivement être une définition du slow design.

merci encore de vos remarques, elle font la vie du blog.

Anonyme a dit…

merci pour votre réponse à mon commentaire concernant la notion de "confort"
Vous avez raison de mettre l'accent sur l'opposition qui existe bien souvent entre confort individuel et bien être collectif.
La mise en évidence de ce conflit d'intérêt donne un éclairage nouveau à vos articles. Peut-être s'agit-il là d'un critère déterminant d'évaluation des objets produits par notre société?

Studio Lo a dit…

cette opposition montre en effet très clairement les limitations d'une approche "orientée utilisateur".